De la modélisation moléculaire à l’illustration scientifique : entretien avec Patrick Trouillas
Patrick nous reçoit dans l’atelier qu’il a aménagé au rez-de-chaussée de sa maison. Des peintures à l’huile, des aquarelles, des croquis, des esquisses, des illustrations imprimées couvrent les murs et la table à dessin.
Patrick, depuis quand dessines-tu ?
J’ai toujours dessiné. Ma mère dessinait. Petit, j’étais fasciné par les dessins en direct de Cabu dans RécréA2, j’aimais lire des bandes-dessinées (Astérix, Valérian…)
J’ai très souvent avec moi ma trousse et mon carnet à dessin pour réaliser des croquis que je colore parfois aux crayons aquarellables. Par exemple, j’aime bien dessiner les animaux lorsque j’amène ma fille au Zoo, ou encore des lieux de vie, par exemple au restaurant, en voyage. C’est un hobby depuis longtemps.
Je prends également des cours, depuis pas mal d’années, notamment à l’ENSAD de Limoges en peinture à l’huile et en modèle vivant. J’ai été accepté trois fois, pour participer au « Comics Seminar » à Erlangen en Allemagne. J’y serai encore cette année. J’y apprends beaucoup au contact des professionnels de la bande dessinée.
Quand as-tu inclus ce don dans ta carrière de chercheur ?
Dès ma thèse, j’étais intéressé par la vulgarisation scientifique. Mon manuscrit de thèse s’articulait autour d’un dialogue entre Tron l’électron et quelques Umopiens (habitants du laboratoire UMOP dans lequel je faisais ma thèse). J’ai continué l’histoire avec mon HDR1, avec Tron l’électron, mais également Tom l’atome et Mol la molécule.
Je suis aussi affilié à l’institut de recherche CATRIN en République Tchèque qui publie une newsletter semestrielle elle se termine par une aventure du duo de héros que j’ai créé, autour d’une thématique scientifique d’actualité de cet institut.
Dans mon domaine de recherche – la modélisation moléculaire – les résultats sont souvent très visuels ce qui facilite souvent la compréhension et les échanges. J’aime beaucoup utiliser ces visuels pour simplifier mon discours et stimuler les échanges scientifiques.
Avec le développement de mes activités de recherche et leur valorisation, j’ai parfois dû mettre le dessin de côté. Mais maintenant, j’y consacre plus de temps.
1 Habilitation à Diriger des Recherches, plus haut diplôme académique délivré par l’Université française.
Tu collabores avec Récréasciences. Raconte-nous ça.
Il y a à peu près 3 ans, j’ai donc eu envie de développer cette appétence pour la diffusion grand public de la Science et mes envies de dessiner. J’ai commencé avec RécréaSciences et Marie Doneda qui cherchait, à ce moment-là, des dessinateurs de BD scientifique. Je m’y suis essayé et partant de thématiques que RécréaSciences me proposait (Mission sur Mars, Ressources en eau en Limousin, Ordinateurs quantiques, Vaccins à ARN…), j’ai construit des mini BD de vulgarisation scientifique.
Plus généralement, je choisis une thématique, souvent suite à une demande spécifique ; je construis le storyboard que je soumets aux scientifiques experts du domaine ; je dessine au crayon sur papier ; je scanne chaque croquis une fois qu’il est finalisé ; puis je colore et j’inclus les bulles de texte sur tablette graphique. Chaque épisode de 8 à 10 vignettes demande une soixantaine d’heures de travail.
La BD est ensuite diffusée en ligne et/ou imprimée sur papier.
Tu as donc modélisé l’infiniment petit en tant que chercheur et tu es maintenant auteur-compositeur-interprète de BD ! Et ta BD s’appelle Les aventures d’Hermann et Bégonia, n’est-ce pas ?
Oui ! Hermann2, c’est le robot qui a le savoir
et Bégonia est la jeune fille bourrée de questions.
2que l’on pourrait traduire par homme, bonhomme ;)
Je suppose que tu ne te restreins pas à la collaboration avec Récréasciences ?
Non, j’ai, par exemple, raconté l’histoire de Polythéa, un projet européen coordonné par Stéphanie Leroy-Lhez. C’est une BD de 15 pages, production qui représente environ 600 heures de travail, racontant brièvement ce qu’est un projet Européen, en l’occurrence dédié à 10 doctorants qui ont pu se former dans de nombreux laboratoires académiques et industriels de 9 pays européens (voir la BD complète).
Je produis également des illustrations scientifiques à la demande, sous forme d’infographie. Par exemple, j’ai réalisé la couverture pour un numéro spécial de la revue scientifique périodique de Polythéa . J’ai également fait des illustrations pour Érena-Limoges, la bulle éthique du CHU de Limoges, rejointe en février 2022.
Je travaille actuellement sur un projet co-porté par l’université de Limoges, avec Claire Lefort, Vice-Présidente déléguée Partage et diffusion scientifiques, et RécréaSciences, avec Julie Lairesse. Il s’agit de réaliser des portraits graphiques d’une dizaine de femmes scientifiques sous forme de kakémono qui seront diffusés lors d’expositions itinérantes dans les établissements scolaires notamment. L’inauguration est prévue le 4 octobre 2023, au Centre Social de Beaubreuil.
D’ici la fin de l’année 2023, je vais également illustrer, sous forme de BD, un projet de recherche sur le lin, porté par Christophe Hano, un chercheur de l’Université d’Orléans. J’attends de me lancer dans ce projet avec beaucoup d’intérêt, puisque la thématique est assez proche de thématiques de recherche que j’ai portées il y a quelques années (intérêt et valorisation de molécules naturelles, notamment, les polyphénols).
Comment cette activité professionnelle est valorisée par l’université ?
En réalité, diffuser la science au plus grand nombre fait partie intégrante de notre activité d’enseignant-chercheur. Mais tourner une partie de son activité universitaire en illustration n’était pas gagné d’avance. Cela dit, lors de cette évolution dans ma carrière, j’ai toujours reçu un regard bienveillant et intéressé de la part des collègues, de notre Doyen, Bertrand Courtioux ou de l’université et notamment Claire Lefort. Cette dernière a soutenu cette action et trouvé des financements pour imprimer certaines BD et pouvoir les diffuser à relativement grande échelle dans la Région. Je remercie tous ces soutiens qui m’ont donné la possibilité de progresser et donc de proposer encore plus de choses.
À notre tour de remercier Patrick d’avoir accepté de donner un peu de son temps à cet entretien. Nous retrouverons Patrick prochainement pour au moins deux autres histoires – illustrées ! En les attendant, vous pouvez découvrir son site personnel d’artiste auteur de BD.